LE BOUGHANDJA

Résurgence des incantations païennes d'antan, le Boughandja constituait une fête haute en couleurs, en odeurs et en clameurs. Quand le ciel oublie pour trop longtemps son incontinence et que ses cumulus s'arrangent tout juste pour narguer les paysans, les vieux commencent à se rappeler que les Dieux ont peut-être été trop longtemps laissés sans égards.

Ils se remémorent alors les processions d'antan d'où l'on revenait mouillé de bonne pluie et il y'a toujours un vieux plus volontaire ou plus écouté que les autres et qui ose proposer une date à des interlocuteurs qui n'attendent que ça.

En rentrant chez eux, ces interlocuteurs trouveront en leurs épouses des interlocutrices encore plus attentives et qui, commérage aidant, vont répercuter en l'espace de quelques heures la décision de l'organisation du Boughandja. Le reste viendra tout seul.

Les enfants avides de défoulement vont dès l'aube du lendemain élever les totems à promener dans les rues du village. Le porte à porte sera obligatoirement porteur puisqu'aucune femme ne s'avisera de renvoyer la marmaille suppliante sans ajouter sa provision de semoule, de couscous, de figues sèches, de sucre, de café  ou d'huile d'olive. Les hommes pour leur part cotiseront sans ronchonner et le taureau sera ramené très vite du souk de Brachma ou de Boghni.

C'est généralement au cimetière de Sidi Gacem Ben Haroun que se déroulera l'immense repas collectif fait de couscous en sauce ou au petit lait et de bonnes tranches de viande. La tradition veut que les entrailles de l'animal abattu  soient jetées en l'air pour être rattrapées dans une indescriptible mêlée par les convives; ces abats ont la réputation de rapporter paix et fortune aux foyers.

C'est en grandes processions que les habitants des douars se dirigent depuis les premières lueurs de l'aube vers le lieux du sacrifice. Les étendards colorés flottent au vent tandis que montent les supplications vers le ciel bleu. La sincérité de ces supplications est si poignante qu'elle n'offre aux Dieux qu'une seule alternative: celle de pleurer !

El djelbana 3atchana

essguih'a ya moulana

El foul naouar ouedhbal

Essguih' ya boulanouar

El guem'h della richou

ya Rabbi fah' en3ichou

Boughandja dar ezzernouf

Ouel gotra tchemmakh hallouf...***

Le repas terminé, les processions reviennent vers les douars... le ciel bleu du matin a laissé place à un amoncellement tonnant de cumulus. Les foules bigarrées ne sont pas arrivées dans les maisons en toub qu'elles se retrouvent à chanter sous la pluie...

Ce folklore a disparu. Un dernier Boughandja très timide et qui n'a draîné que quelques bambins et  donné une insignifiante averse a été organisé en 1998... il n'y avait pas foule. Les prosélytes d'une religion qui se veut cartésienne pour coller au modernisme ont décrêté "haram" le boughandja, les ziarates, les souikates, l'étalage du beau et de l'inutile pour confiner la religion dans l'utile, le strict, le froid et la solennité... Et c'est bien dommage !

Pour appeler la pluie, on fait appel aujourd'hui aux adultes et les prières sont décidées non plus à un niveau local mais au niveau du ministère du culte. Il est  dit que ces prières ne sont exaucées qu'à la condition expresse qu'il n'y'ait aucun hypocrite parmi ceux qui les accomplissent, ce qui constitue une gageure.

Pour mémoire, la dernière prière à la pluie s'est effectuée la veille des inondations de Bab El Oued...

 

traduction textuelle:

Le petit-pois est assoiffé

Arrose le ô "Maître des lumières" !

Les fèves ont fleuri puis se sont fanées

Donne leur à boire ô notre Seigneur !

L'épi de blé a laissé retomber sa chevelure

Ô mon Dieu de quoi vivrons nous

Boughandja a mis un collier

Que la goutte mouille un sanglier...

Copyright© 1999