LES ANIMAUX
La faune de Djebahia reste au jour d'aujourd'hui dignement représentée par
deux spécimen: les chiens bâtards dans les agglomérations et les
sangliers dans la nature environnante.
Si l'on exclue les moutons et les quelques vaches que possèdent certains
retraités, les poules que les bonnes dames libèrent pour détruire les jardins de leurs
voisines, les deux dindes du lotissement d'en haut et la grosse oie qui régule la
circulation automobile devant le collège, le reste de la gente zoologique se trouvera
réduit à très peu de choses.
Quelques
chacals continuent
les nuits d'été à glapir dans le
bou't'boul
mais leurs hurlements ne font même plus peur aux enfants et on y a entendu ces derniers
temps une
hyène (on le présume)
ricaner bêtement. On a cru avoir définitivement enterré le
porc-épic dont le dernier spécimen vivait à
El Khaloua dans un endroit qu'on nomme
comme de bien entendu "l'antre du porc-épic" (ghar edhorbane). Mais c'était
compter sans la capacité reproductrice de la bête. Après quelques années de paix du
fait des troubles (les malheurs des uns font le bonheur des autres !), le voilà qui est
revenu en meute détruire les récoltes de pommes de terre et s'attaquer aux fèves et aux
pois-chiches. On affirme que sa chair sans os ni graisse est succulente et la coutume veut
qu'on la mange dans le noir total. Son petit cousin
le hérisson continue à se faire écraser sur les routes. Il
lui arrive aussi de se faire servir à table. Son petit coeur, comme celui du chacal,
donnerait à celui qui en mangerait, la malice qui lui permettrait de ne pas faire les
frais de la perfidie des gens. Mais ce qui le sauve relativement, c'est le cri de bébé
qu'il lance quand on le prend à la gorge.
Mais les mammifères qui ont vu se réduire drastiquement leur population ne sont
pas les seuls à plaindre. La gente ornithologique subit aussi les assauts non seulement
des oiseleurs en goguette mais aussi des chasseurs de tous acabits et certaines
cigognes ont même fait les frais des
amateurs du coup du roi malgré le respect qui leur est habituellement voué pour
le service qu'elles nous auraient rendu.
Les
chardonnerets trop
naïfs ont été décimés malgré les lois qui les protègent; des lois carrément
ignorées ou allègrement ou ironiquement interprétées par ceux-là mêmes qui
sont chargés de les appliquer, à commencer par les édiles...
Un autre passereau, le
"nou'aidj"
(oiseau à queue blanche) ne hante presque plus de ses vols en rase mottes les champs de
notre contrée. Il a subi de véritables "ornithocides" (si ça peut se dire) par les
oiseleurs. Son piégeage est un véritable sport local.
La
perdrix a failli elle
aussi disparaître de nos paysages si ce n'est le répit qui lui a été accordé durant
la période trouble qu'a connue le pays suite au ramassage des armes de chasse. Mais cela
n'a pas empêché les ramasseurs d'oeufs et autres oiseleurs à la
planche d'aider la sélection naturelle à réguler la
population de cette gracieuse hôtesse de nos garrigues.
Au
corbeau, considéré
comme un oiseau de malheur, on réserve un sort très peu enviable puisqu'une tradition
imbécile recommande de le brûler vif au motif encore plus imbécile que c'est lui qui
aurait balancé les poux sur nos têtes...
Les oiseaux de proie nocturnes:
chouette,
hibou sont l'objet d'une vindicte qui
n'ose pas dire son nom car leur cri lugubre est associé au malheur.
Quant aux
grives et
étourneaux, ils doivent se souvenir
de leur passage chez nous car rares sont ceux qui arrivent à repartir.
La population reptilienne compte les
orvets,
les
aspic, les
couleuvres, les
lézards verts, les
lézards
des murailles, les
caméléons etc...
Les orvets et les lézards des murailles n'ont pas besoin de la protection de la SPA ou du
WWF puisqu'on assure que celui qui s'amuserait à leur réserver un mauvais sort subira
après son forfait sept jours de fièvre froide. L'aspic qui est réputé avoir deux
têtes est très craint. On affirme que celui qui subit sa morsure ne devra son salut
qu'à un traitement très spécial: il devra accepter de se faire enterrer dans un tas de
fumier pendant toute une semaine car il est dit que l'affreux reptile ne lâche jamais sa
prise avant que l'âne ne braie en pleine mer; c'est vous dire combien le supplice
peut s'éterniser !... Les lézards verts qui vivent sur les oliviers ont la mauvaise
réputation de s'introduire dans tout méat et c'est pourquoi les femmes recommandent à
leurs enfants de ne jamais utiliser les troncs de ces arbres comme tinettes; les hommes se
rient de cette légende mais prennent toutefois garde à aller se soulager là où il ne
faut pas. Les caméléons eux, ont la réputation d'éliminer les sortilèges. Mais pour y
arriver, ils doivent subir un traitement très spécial en ce sens qu'ils doivent se
laisser égorger, de préférence un mardi et obligatoirement par une personne dont on
prononce le prénoms sans joindre les lèvres. Mohamed, Slimane, Moussa, Salem et Omar ne
peuvent être égorgeurs de caméléons contrairement à Aïssa, Rachid, Ali et Fatah qui
ont ce grand privilège. Le caméléon est ensuite salé et séché et pour faire son
effet, on doit en mâcher un bout. Il semblerait que ce traitement soit vraiment efficace
puisqu'il n'y a pas une maison au village qui ne possède son caméléon séché;
situation qui a fait qu'il faut vraiment avoir de la chance et de la patience pour trouver
une de ces bestioles et je vous assure que ce n'est absolument pas son mélanisme qui l'a
rendue invisible...
Les couleuvres sont craintes et considérées comme mauvaises (on dit
"moudhi"); il est recommandé de les tuer pour en débarrasser la terre. On
raconte beaucoup de choses sur ces bêtes et sur le danger qu'elle représentent. J'ai
personnellement demandé à
Si Hamid
pourquoi cet animal devait être considéré comme ennemi; il m'a rétorqué que c'est à
cause de ses méfaits et, pour illustrer ces méfaits, après avoir bien réfléchi, il a
invoqué le cas d'une personne qui aurait été tuée par un serpent du côté de
Beni Slimane... C'est son père qui le
lui aurait rapporté et il tiendrait l'information d'un vieillard de ses connaissances qui
aurait entendu parler de ce triste événement ! Vous comprenez que cette sale bête
mérite bien le sort qui est le sien !
D'autres légendes courent sur le serpent. On dit que si une personne subissait sa
morsure et en survivait, il la rechercherait jusqu'à sa mort pour lui administrer la
morsure fatale. Lamri , le magasinier de la Commune en connaît un bout de cette histoire.
Un jour qu'il fauchait le foin, une grosse couleuvre qu'il avait dérangée lui avait
happé l'index. Elle ne lâcha prise qu'après lui avoir labouré le doigt jusqu'à l'os.
Il s'en tira avec quelques points de suture et une piqûre antitétanique. Bien des années
plus tard, il découvrit un gros serpent tapi dans un coin de sa mansarde. Il jure que
c'est le même serpent qui avait goûté à son sang. Après l'avoir tué, il s'est senti
définitivement libéré de l'angoisse d'une poursuite infernale dont il n'a jamais été
sûr de sortir vainqueur.
Mais cet animal dont les méfaits remontent à Adam (n'est-ce pas lui qui a
suggéré à Eve d'enfreindre l'ordre divin ?) peut constituer, si vous faites attention,
une chance pour vous de sortir de la dèche. Ainsi, si par bonheur vous trouviez deux
serpents en train de se bagarrer, n'hésitez pas à creuser sous le théâtre des
opérations. On vous assurera sur la tête de
Sidi
Gacem Ben Haroun qu'à chaque fois que cela s'est présenté, on a découvert un
trésor.
Le
scolopendre, avec ses mille pattes affreuses n'a pas bonne réputation car ses
morsures sont cruellement douloureuses. Pour le combattre, il existe un moyen radical: le
poulet !
Au mortificateur de la
grenouille,
du
crapaud
ou de l'araignée, on prédit le même sort
qu'à celui qui s'attaquerait aux lézards et aux orvets. C'est vous dire que les cuisses
de grenouilles, ce n'est pas demain la veille que vous risquez de les trouver dans nos gargotes !
Les insectes sont négligés. Hormis les mouches et les moustiques dont on a fini
par s'accommoder, il y a les
bousiers qu'on
raille, les
abeilles qu'on
respecte, les
fourmis qu'on ne
découvre que quand elles se mettent des ailes parce qu'elles constituent alors des
appâts efficaces pour les piégeurs d'oiseaux. Mais on accorde quand même un intérêt
particulier à la fourmi rouge qu'on appelle "Aoud En Mel" (le coursier des
fourmis). Sa célérité l'a désigné comme traitement aux retards que mettent les bambins
à marcher. Il suffit d'en prendre quelques uns, de les écraser puis d'en frotter les
plantes des pieds de bébé. On affirme qu'il n'y a pas moyen plus efficace pour le faire
gambader vite fait. Il y a aussi la
mante
religieuse qu'on appelle "La mère d'Ali et de Slimane (Salomon)" et
qu'on respecte pour sa piété présumée en oubliant sa cruauté, elle, avérée. Il y a
les
guêpes: la grosse qui se
complait dans les détritus et dont on dit que les morsures d'un essaim dérangé peut
vous tuer une vache, la gracile dont on soigne les effets des morsures par l'application
d'un peu de terre imbibé d'urine sur la plaie occasionnée, la toute petite qui creuse
ses trous dans la terre et dont la douleur de la morsure est inversement proportionnelle
à la taille et enfin le longiligne Ali El Bennaï (Ali le maçon) avec sa redingote
noire, qui vous construit des amours de nids en terre. Des nids qu'on utilise en
cataplasme pour guérir... les amygdales !
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