Suite à l'insistance des amis du village, je reprends la Chronique interrompue par lassitude depuis le mois d'Août 2005. J'espère pouvoir trouver les ressources qui me permettront de vous relater chaque jour les événements qui font le quotidien de ce village où le temps semble figé. Je sollicite votre indulgence dans le cas où vous constateriez des vides dans cette chronique. L'inspiration pourrait me manquer moi aussi et dites-vous bien que ce sont vos encouragements qui me donneront la motivation nécessaire... alors n'hésitez pas à me les prodiguer.

Jeudi 1er Juin 2006: C'est le début officiel de la saison estivale. La mer est depuis plusieurs jours déjà envahie par les baigneurs de tous poils car le printemps s'est fait été et la canicule n'a offert au bon peuple d'autre choix que celui de faire trempette... Mais comme la météo déteste le cérémonial et les choses consacrées, elle nous donne depuis hier un temps d'une fraîcheur hivernale, juste pour ne pas faire plaisir à nos officiels. De mémoire de Djébahi, il n'a jamais été constaté pareille profusion de moustiques et nos nuits sont devenues infernales. La municipalité qui avait pris l'habitude de pulvériser les insecticides à l'approche des grandes chaleurs a oublié de le faire cette année. Les travaux d'adduction en gaz de ville vont bon train; les cache-compteurs ont été installés et le creusement des conduites a été entamé. L'aménagement des locaux promis par le Président de la République pour les Jeunes avance lui aussi à grands pas. Les travaux de confortement de l'autoroute au niveau des zones de grands glissements en contrebas de Boubekeur est en voie de finition et la réalisation des fossés bétonnés sur la départementale 125 entre la RN5 et Z'babedj el Metrouk est pratiquement achevée. Cette route qui a fait souffrir durant longtemps les rotules des voitures et les posterieurs des usagers est aujourd'hui très agréable et très confortable.

 

Vendredi 2 Juin 2006: Si Hamid, le patriarche des Adjou est mort la nuit à l'hôpital de Dra El Mizan. La nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre. On le savait très mal en point depuis son accident vasculaire d'il y'a quelques semaines mais tout le monde espérait que sa resistance proverbiale allait le tirer encore une fois de ce mauvais coup du sort. En 1981 il avait déjà subi un choc de ce genre mais il s'en était très bien remis. Son enterrement au cimetière des ADJOU de Sid Essaadi a draîné la grande foule mais ce fut loin d'être triste... Si Hamid avait toujours le mot pour rire et on avait presque l'impression de le voir crier à la foule, de son linceul, d'aller vaquer à ses occupations au lieu de le suivre...
La journée fut fraîche. Les travaux de creusement des conduites de gaz continuent et la rue principale a été fermée à la circulation pour permettre aux ouvriers de travailler à leur aise.

Notre photo montre l'entrée Est de Kadiria. En ces lieux, les peupliers des bords de route formaient une sorte de tunnel ombragé et les rayons du soleil que filtraient les branches entremêlées dessinaient sur la chaussée une belle mosaique d'ombres et de lumières. Au milieu des années 90, un imbécile eut la malheureuse idée de s'attaquer à ces arbres en invoquant des raisons de "sécurité"... Le travail de boucher fut confié à des assassins d'arbres dont le seul souci consistait à en retirer le plus de bois possible. Ils choisirent le mauvais moment pour faire leurs coupes et la mauvais endroit pour les pratiquer. Résultat: de la plupart de ces arbres séculaires, il ne reste aujourd'hui que des moignons de troncs qui, comme des index tendus, prennent le ciel à témoin contre ceux qui les ont mutilés. Comme de bien entendu, les services des forêts et ceux de l'environnement n'ont ouvert aucune enquête contre ce crime qui restera impuni.

Samedi 3 Juin 2006: La frustration se lit sur les visages des jeunes. Le Mundial Allemand se jouera sans eux. L'Arabe qui n'a pas trouvé mieux que de s'accaparer les droits de retransmission aura peut-être gagné des sous et quelque sadique satisfaction mais il aura aussi gagné les miliards d'insultes, parmi elles, celles très vertes des Djebahis. En attendant, au village, l'heure est au raccordement du gaz de ville et ça s'affaire frénétiquement dans toutes les ruelles pour creuser les canalisations. Le froid reste assez vif mais la météo annonce le retour progressif à la canicule. Les fenaisons sont terminées, les foins ont été mis en bottes et leur transport vers les hangars de stockage a commencé. Dans les vergers de Boubekeur, les abricots de Boualem Gharbi sont arrivés à maturité; ils sont proposés sur l'esplanade de la nouvelle mosquée à 30 Da/kg. Ce soir, sur le bord de la route, face à cette mosquée, des vendeurs de poulets ont réinvesti leur place habituelle; le spectre de la grippe aviaire qui nous a débarrassé pour quelques mois de leurs nuisances s'est dissipé et le commerce a repris ses droits momentanément usurpés par la peur.

Dimanche 4 Juin 2006: Les échoppes continuent à s'ouvrir en attendant que les 100 locaux commerciaux promis par le Président de la République viennent terminer la bazardisation du village. Sur la belle esplanade de la mosquée, un investisseur douteux, fort de sa fraude fiscale, de ses accointances administratives et de ses louvoiements politiques a eu une autorisation controversée de réaliser un... centre commercial ! L'opposition de la mairie - motivée surout par le fait que l'heureux investisseur ne soit pas du clan et non pour l'incongruité qu'il compte ériger, vaut au_dit investisseur une sympathie de pure "z'kara" de la part de larges franges de la population et une sorte d'indifférence hypocrite de la part du "Comité de gestion" de la Mosquée... Le bazar projeté se construira certainement quand un protocole d'accord sera trouvé entre ce moonsieur et le maire et viendra détruire cette esplanade qui aurait gagné à recevoir un beau jardin public... A la place de la cave vinicole d'antan, un groupe de bâtiments a été érigé avec les inévitables fonds de commerce de ses rez de chaussées. Deux de ces commerces ont déjà ouvert: un café et un fast-food. S'il y'a à dire sur leur vocation, on doit reconnaître qu'ils ont été aménagés avec recherche... On aurait aimé voir un décor plus bucolique avec un éclairage moins agressif mais comme la mode est aux ors, on se fera au scintillement des chromes et à la crudité des lumières...

 

Lundi 5 Juin 2006: Le temps se réchauffe légèrement après les froidures exceptionnelles des derniers jours. Les travaux se poursuivent aussi bien au niveau de l'assiette où se réalisent les locaux commerciaux présidentiels que sur toutes les ruelles devant recevoir les conduites de gaz de ville. Contrairement à tous les villages qui profitent de l'arrivée de l'été pour faire leur toilette, le nôtre reste livré aux moustiques, aux poussières et aux fuites d'eau; la place publique qui fut prise en charge de belle manière l'année passée est livrée à elle-même; le gazon qu'on y a planté a fleuri et est devenue broussailes; la commune doit ignorer qu'il existe un moyen de le tondre et qui s'appelle tondeuse à gazon mais il faut croire que nos édiles ont vraiment d'autres préoccupations. Chez nous, la cooptation atteignant les limites du ridicule, tout changement à la tête du pouvoir central se répercute immédiatement sur le moral des "élus"; ce fut le cas quand BENFLIS du FLN fut évacué; c'est le cas aujourd'hui qu'OUYAHIA vient de se faire défenestrer. C'est dire que nos élus - toutes tendances confondues - ne sont redevables qu'à leurs protecteurs et non à la canaille qui les a faits rois...

 

NPM: l''épave de l'Hotchkiss de Si Hamid. C'est sur son frais plateau, à l'ombre du généreux olivier que Si Hamid faisait sa sieste. L'endroit, exposé en tout temps à un fort courant d'air est d'une belle fraîcheur et l'horizon limité par les montagnes d'alentours empêche l'esprit de voir trop grand et d'aller trop loin et le ramène toujours vers les modestes introspections.

Mardi 6 Janvier 2006: la fraîcheur nous a accordé encore une journée de répit. La fin du monde attendue pour ce 6/6/06 n'a pas influé sur le moral des djebahis car rares sont ceux qui ont entendu parler des craintes ou des esperances de ceux qui croient au maléfice du nombre 666; de plus, livrés aux bons vouloirs du temps, peu de villageois s'interessent au calendrier.

Mercredi 7 Janvier 2006: La canicule s'est réinstallée. En fin de soirée d'hier le vent du sud s'est permis une petite virée en nos contrées mais très vite chassé par une pourtant modeste brise marine, il a conforté le proverbe qui dit "El Bahri yaghleb El Guebli"* sans se rendre compte qu'il remettait en cause cet autre proverbe qui affirme que "El Guebli ithelleth oualla issebba3"**.

Une forte délégation nous est venue d'Alger et de Ain Defla avec tout un attirail audio-visuel. Il s'agit de l'Association présidée par le Colonel Youcef Khatib (Cl Si Hassan) et qui ambitionne d'écrire l'histoire de la Wilaya 4. Elle a écouté et enregistré les témoignages poignants de 3 moussebilines qui ont raconté surtout les tortures qu'ils ont subies. Les séances d'enregistrement furent en elles-mêmes de vraies tortures car les malheureux devaient puiser d'une mémoire vieille de 50 ans, des bribes d'un calvaire qu'ils doivent avoir tout fait pour oublier. Mais ce fut pour eux une veritable libération; un peu comme celles que doivent ressentir ceux qui sortent des confessionnels ou qui quittent les divans des psychiatres tant ces souvenirs qu'ils devaient porter tous seuls devaient leur peser.

*- Le (vent) marin bat l' (vent) oriental

**- Le sirocco "triarde" ou "septarde" (je n'ai pas trouvé
meilleurs mots pour exprimer l'id
ée de durée)

Jeudi 8 Juin 2006: Au marché du village, les fruits ont la côte. Et c'est incontestablement l'abricot qui est roi. On l'a proposé ce matin à 25 DA le kg.

La journée a été lourde de chaleur et le chantier des 100 locaux pour jeunes l'a décibellisé à outrance avec ses infernales bétonnières coulant les fondations depuis 6 H du matin.

La nuit s'annonce difficile avec un air immobile et une chaleur propice à l'invasion des moustiques. Dans certains quartiers du village (ancien et nouveau lotissement, SAS...) l'odeur des déjections ovines et bovines est devenue pestilentielle. Il faut savoir qu'au village la population vit avec des centaines de vaches et de moutons sans que les services d'hygiène de la commune ne lèvent le moindre index avertisseur. Du côté d'El Khaloua, entre El Maasra et Ain Cheriki, une décharge clandestine est en train de prendre des proportions inquiétantes et là aussi, la municipalité ayant signé un traîté de non agression avec ces bêtes et toutes les bêtes (chiens errants, cafards, moustiques, rats...) laisse faire.

Vendredi 9 Juin 2006: C'est toujours le même décor... chaleur, poussière, nonchalance. Depuis que les cafés maures se sont pliés à la volonté religieuse, le village vit dans une sorte d'état second; Les vociférations des joueurs de domino et les coups sur les tables, la gouaille paysanne et ses succulentes répliques ont laissé place à une ambiance de cimetière.

Les travaux de creusement des conduites de gaz se sont poursuivis même en cette journée sainte. Des jeunes hommes venus d'ailleurs accomplissent ces travaux avec une méticulosité et un sérieux qui inspirent le respect car chez nos villageois ils sont rares les jeunes qui pourraient faire pareil par ces temps de canicule et même en temps de douce fraicheur...

 

Si Djebbah... de son vrai nom: Bouchedda Tahar. C'est ce martyr de la Révolution qui a donné son nom au village. Il est mort lors d'une tentative d'incursion au village, commandée par le Commandant Azzeddine. Enterré à Boubekeur, sa dépouille a été réinhumée au village dans les premières années de l'indépendance, devant le siège de l'ancienne mairie.

Samedi 10 Juin 2006: Première journée pour les épreuves du Bac. La canicule a laissé place à une très agréable fraîcheur et le soir une petite ondée est venue dépousierer l'atmosphère. Pour le reste, c'est le statu-quo.

Dimanche 11 Juin 2006: Le ministre de la PME (oui oui il en existe un !) est venu visiter les choses qui relèvent de son secteur. Il a été conduit, entre autre, à Ben Haroun où il a "inspecté" l'usine d'eau minérale. A 17 H il a rencontré les cadres de la wilaya et les operateurs économiques après qu'ils fussent invités à 15 H... c'est dire qu'en matière de ponctualité, notre ministre est dans les normes du pays...J'ai appris depuis quelques minutes le décès subit de Gacem Essaïd, le frère de Gacem Makhlouf, "Boumerdès" pour tout le monde et "El Batrou" (le Patron) pour ses intimes. Gacem Essaïd se trouverait depuis peu au village. Il résidait habituellement au Nord de la France où il tenait un estaminet que connaissent tous nos émigrés. Il serait mort d'un arrêt cardiaque à 18 H 30.

Lundi 12 Juin 2006: Le village est tout retourné; les creuseurs continuent de creuser avec un bel entrain mais il faut reconnaître à l'actif des entreprises qui réalisent cette adduction en gaz de ville, la rapidité et surtout la grande propreté de leur travail puisque les fossés sont immédiatement remblayés. C'est la troisième journée du bac que nos candidats passent à Kadiria. Pour le reste, c'est toujours le calme plat. L'enterrement de Gacem Essaïd est prévu pour demain car on attend ses proches qui devraient rentrer de France.

Mardi 13 Juin 2006: Essaid Gacem a été enterré aujourd'hui au cimetière de Ben Haroun. Au village on essaie de redonner quelques couleurs à la clôture de la place publique. Le mur a été badigeonné de blanc et les barreaux ont été peints en verre et blanc. La mairie a accroché aux poteaux électriques des fanions verts et blanc sur lesquels on a écrit: baladiat djebahia. Ce fut certainemenent en l'honneur du ministre de la PME qui devait transiter hier par Djebahia pour rejoindre l'Usine de Ben Hartoun...

Mercredi 14 Juin 2006: Le sirocco est revenu et cette fois-ci il semble avoir pris la décision de durer autant que le lui permet le proverbe. Durant la nuit d'hier, la journée d'aujourd'hui et au moment où j'écris ces lignes (22 h 20) la chaleur est restée à son paroxysme. Le vent est déchaîné et ses mugissements remplissent le village de sinistrose. La nuit à venir sera très longue.

Jeudi 15 Juin 2006: 12 h 20. Je viens d'apprendre la mort d'une des filles de Issaad Omar "Es-Saadaoui". Elle avait 20 ans. Son enterrement est prévu après la prière du D'hor au cimetière de Boubekeur.

14 H 20. Le cortège funèbre est revenu au village. Ce fut un cortège modeste, à l'image de la défunte et de sa condition. On a appris qu'elle est décédée de maladie à l'hôpital; elle travaillait dans le "filet social" et attendait depuis une année une paie que la bureaucratie empêchait de sortir des ordinateurs de l'administration. Paix à son âme et gloire à nos cols blancs et ronds de cuir!

 

Vendredi 16 Juin 2006: En fin de soirée d'hier et suite aux supplications des villageois terrassés par un vend du sud cruellement arrogant, la brise marine est venue le renvoyer d'où il est venu. Il s'en est ensuivi une grosse bataille durant laquelle le vent du sud a usé de ses plus vilains sifflemnts mais il a fini par décrocher et s'est piteusement enfui, poursuivi par la pluie, venue à la rescousse de la brise. Nous eûmes droit à une nuit d'une belle fraîcheur; mais nous avons crié victoire trop tôt puisque ce satané vent nous est retombé dessus aux premières lueurs de l'aube avec une énergie décuplée et ce n'est qu'en fin de journée que la brise est revenue lui régler encore une fois son compte. Nous eûmes même droit, suprême générosité, à une grosse ondée qui a lavé l'atmosphère de toutes les saletés ramenées par ce satané sirocco... tant pis pour la boue qui a trouvé un terrain fertile dans les déblais des fouilles qui courent les rues depuis qu'on a décidé de nous mettre au gaz de ville.

Samedi 17 Juin 2006: C'est une journée relativement fraîche. Durant la nuit d'hier il est tombé quelque pluie qui a laissé au petit matin plein de petites mares . L'heure étant au foot-ball, les rencontres inter-villages drainent chaque jour la grande foule vers le stade. L'afflux est manifestement boosté par l'interdit qui frappe le sport-roi du village depuis qu'il fut décrété "haram" par la mosquée. Les cafés sont lugubrement vides et silencieux sans les gutturalités des amateurs du double-six et on a l'impression de vivre la fin d'une époque.

Dimanche 18 juin 2006: Un attentat a été perpétré contre les gardiens du gazoduc à Aomar. On parle de 3 morts et de nombreux blessés. Les journaux qui rapportent l'information parlent de bombe actionnée à distance au passage du véhicule des gardiens. L'attentat a eu lieu dans les environs de l'endroit où le gazoduc est régulièrement saboté, à l'ouest d'Aomar.

Lundi 19 Juin 2006: Chaleur et vent du sud au menu. La journée du "redressement révolutionnaire" de 1965 n'est plus chômée et payée. Aucune allusion dans les médias à ce redressement qui était habituellement fêté avec force cérémonial.

Mardi 20 Juin 2006: Consternation à Aomar. Un beau-frère d'une des victimes de l'attentat du dimanche en allant lui rendre visite à l'hôpital de Tizi Ouzou, hier, a perdu le contrôle de son camion qui a chuté dans un profond ravin du côté de Oued Ksari. Bilan toute une famille (Boudebza) décimée: le père, un jeune mécanicien d'une très grande sympathie, sa femme enceinte et un de leurs deux enfants qui ne fut dégagé de sous le camion qu'après plusieurs heures d'effort. Le deuxième garçon grièvement blessé aurait été amputé d'une jambe. Les innocentes victimes de cette tragédie ont été enterrées aujourd'hui.

 

*** Je tiens, au nom de tous les miens à féliciter mon neveu LOTFI pour la brillante soutenance de sa thèse d'ingéniorat en sciences de la mer et qui avait pour thème: L'AMENAGEMENT DES PORTS DE ZEMMOURI ET LA MADRAGUE. Son magistral exposé mérite bien la mention "TRES BIEN" du Jury.

Mercredi 21 Juin 2006: La chaleur fut épouvantable durant la journée. En soirée un vent frais nous a permis d'espérer que la nuit la plus courte de l'année ne sera pas trop longue...

 
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