CUISINE
Que mange t'on et comment
mange-t'on à Djebahia ?
Au village, la frugalité a
toujours été de mise. La cuisine y a toujours été très sommaire sans pour
autant être insipide. Dans les froideurs hivernales, maître Couscous, notre
"Tâam" que personne n'appelle "seksou" ou
"kousseksi"; est roi. On l'assaisonne de sauce où marinent cardes,
carottes, fèves et pois chiches et si des tranches de potirons
sont disponibles, on ne se privera pas de les ajouter pour sucrer un peu le tout. On
n'oubliera pas comme de bien entendu de jeter dans la marmite deux ou trois têtes de piments rouges prélevés du chapelet mis à sécher sous les
tuiles.
Ceci pour les dîners. Les
déjeuners seront invariablement constitués de pommes de terre en ragout ou seulement
bouillies dans de l'eau salée.
Mais cette époque est presque
révolue. Non pas que les villageois aient trouvé mieux mais parce que les décideurs ont
tout fait pour rendre hors de prix la semoule servant à préparer le couscous et les
pommes de terre qui représentait l'aliment du pauvre. De 230 DA le quintal, la semoule
est passé à 3200 DA aujourd'hui et la pomme de terre de 0.65 DA à 70 DA le kg en
l'espace de 10 petites années. Je pense pour ma part que si un de nos futurs présidents
voulait nous réconcilier avec nous-mêmes, il n'aurait qu'à faire subventionner à 90%
nos achats de semoule et d'huile d'olive... ça nous permettrait de retrouver un éminent
aspect de notre culture (notre art culinaire) qu'on devrait placer au même niveau que
l'aspect linguistique sur lequel on focalise un peu trop alors au détriment de tous les
ingrédients qui font notre personnalité...
Au printemps la pression s'allège
et les menus s'étoffent. Quand arrivent les fèves vertes de saison, tous les légumes
s'éclipsent. Les fèves vertes se laissent manger n'importe comment... en sauce avec
leurs cousins petits pois, frits et rougis de tomates en conserve mais surtout
découpées dans leur gousse et cuits à la vapeur puis mélangées à un couscous
généreusement arrosé d'huile d'olive et qu'on ne peut convenablement savourer sans une
"guedoura" de leben (petit
lait).
L'autre plat qui a réussi à
s'imposer jusqu'à aujourd'hui, c'est "El Aïch" qu'on peut à la rigueur
appeler "El Mardoud" quand on veut se faire un peu algérois mais que personne
n'osera nommer de cette appellation barbare de "Berkoukès" que d'aucun
affirment être son vrai nom. "El Aïch", pour rester fidèle à notre orgueil
de villageois, c'est ce gros couscous dont la calibre ne va pas jusqu'au cochonnet des
jeux de boules mais qui atteint presque la taille du petit pois, est généralement
agrémenté de quelques pois chiches et de tranches de navet
qu'on laisse fondre dans la cuisson. Il est sempiternellement servi avec du poulet dans
des "rahh'aliya" ou, si ceux qui doivent l'honorer
sont plus nombreux, dans une "djefna". Durant les
occasions religieuses ou traditionnelles qu'on appelle "souikates"
et qui jalonnent les mois de l'année pour célébrer l'Achoura, le Mouloud, Awwal
Moharram, yennayer, Kassam Larzak, Leilet El Qadr... on ne peut passer au village sans
voir les rassemblements des pères de familles achetant le poulet de circonstance et à la
tombée de la nuit, si on tend bien l'oreille, on entendra siffler le cocottes minutes et
bouillir les marmites et si on sait faire vibrer ses narines au vent, on pourra sentir les
odeurs si avenantes de ce plat.
Tâam et Aïch (ces deux noms
dérivent de Taama = Nourrir et AAcha = Vivre) ne sont pas les seuls à se faire rouler
dans nos demeures... Leur petite cousine "M'Hamms'a",
elle aussi, s'offre aux mains des femmes qui la façonnent amoureusement en
boulettes plus grosses que celles du premier mais moins que celles du second. El M'Hammsa
se fait cuire dans une "tandjra" en terre cuite dans
de l'eau qu'on laisse chauffer jusqu'à évaporation complète en n'arrêtant pas de
remuer avec la spatule en bois afin d'éviter de la laisser s'agglomérer. On retire la
tandjra fumante et on ajoute au contenu une bonne tranche de beurre. On obtient alors un
très beau plat de petites boules luisantes qu'on peut rendre plus succulent en y versant
du sucre.
Ceci pour les plats roulés...
Mais la semoule ne sert pas
seulement à nous gratifier de ces succulences...
Certains foyers continuent à
faire cuire cette soupe de grosses pâtes plates qu'on nomme "el
m'gatt'3a" (la découpée) et qui consiste en des lames de differentes grosseurs
qu'on fait cuire dans de l'eau dans laquelle on laissera fondre de la graisse animale et
du beurre. et dont on relèvera le goût à l'aide de bon piment piquant... à consommer
très chaud parce que ce plat contrairement à la vengeance est insipide s'il est
mangé froid...
L'autre plat c'est le "Rfis", il est préparé à l'aide de galette découpée en
petits morceaux et qu'on fait cuire au beurre. On y ajoute selon la disponibilité, des
dattes malaxées ou du miel et on le décore d'oeuf en coque qu'on peut laisser entiers ou
qu'on peut effriter et mélanger au tout. Le Rfis est servi pour célébrer la naissance,
les premières dents, les premiers pas, les fiançailles et même la mort puisque c'est ce
plat facile à préparer et très nutritif qu'on sert à ceux qui veillent les défunts.
La semoule brute sert aussi à
préparer "El A3s'ida", une purée qu'on présente en
volcan dans une "gas'3a" et dont la cratère
renfermera du beurre fondu. Les parois du volcan seront saupoudrées de sucre et la
combinaison des goûts du blé, du beurre et du sucre constituera un régal pour le
palais.
Les plats d'antan se préparaient
aussi à l'aide de tout ce que notre campagne peut contenir en flore et en faune.
Les différentes variétés de
"bgoul" que certains nomme "3ammouch" continuent à garnir les meidas
et il est fréquent de voir nos petites vieilles faire les talus des routes pour cueillir
ces herbes comestibles qui ont pour noms: "el
guernina", "el bsibsa", "es-sella", "tchichet loghrab"
, "el hommaydha"...
El Guernina, c'est la reine de la
cuisine. Elle se prépare en sauce avec des pois chiches et donne un plat d'un arrière
goût plein de la senteur rugueuse des champs. El bsibsa supplante parfois avantageusement
les fêves pour garnir le couscous en lui donnant une très légère touche d'anis car, ne
l'oublions pas, cette plante est une cousine de l'aneth (el besbes); Es-sella et son gout
légerement salé peut aussi être utilisée aux mêmes fins.
Quant au bouquet composé de
tchichett loghrab, el hourrayeg, el hommaydha, ferd el ghom et autre ouah'rir, il
donne un plat où chaque espece apporte sa petite nuance et le resultat , on s'en doute,
est d'une infinie délicatesse.
D'autres herbes sont aussi les
hôtes de nos marmites... guernounech, une plante aquatique qui pousse à profusion dans
nos ruisseau, fliou que dédaignent les moutons malgré son aspect avenant vient
donner ses parfums à nos ragouts de pomme de terre et enna3na3 en plus de son utilisation
dans le thé sert aussi à parfumer une curieuse préparation de galette.
On ne doit pas parler d'art
culinaire et omettre justement la galette...
Celle ci est préparée selon au
moins quatre méthodes... Il y'a d'abord "El Khmira"... C'est une galette de
blé qui obeit dans sa préparation à un long rituel... D'abord la pâte que la femme
malaxe en ajoutant graduellement de l'eau jusqu'à ce qu'elle atteigne une consistance
très elastique. Elle est ensuite partagée en boules qui sont roulées dans la farine
puis aplaties dans une djefna et arrondies... ces roues sont ensuite
soigneusementsuperposées entre de beaux draps dans un "djegurir" ... les
djegurir sont ensuite placés dans un endroit suffisamment chaud pour permettre à la
levure de monter... la femme reconnait que la galette est prête à la cuisson en y
enfonçant son index... si la pate remonte convenablement alors elle est mise à cuire
dans un tadjine "el has'ba" à la base faite en ronds concentriques... sous
l'effet de la chaleur, la galette fera monter des bulles que la femme crève en usant d'un
baton d'allumette. Elle est retournée avec une dexterité vite acquise pas l'usage et
quand elle est à point sur les deux faces, il ne restera qu'a la faire passer à la
flamme pour dorer sa bordure.
Cette galette était cuite sur un
feu de bouse de vache ou de bois qui lui communiquait les senteurs du jujubier, du
lentisque, de l'olivier, bref, de l'essence qui a servi de camburant. A défaut de bois,
les femmes utilisent aussi les grumes des olives récupérées des huileries ou mieux
encore, ces tiges de "nettayna" une plante à forte exsudation et qui remplit
l'atmosphère d'une forte senteur en brûlant.
Nettayna. Photo prise le 16/8/2002 à El Madjen.
Cette plante a servi durant longtemps comme combustible. |
Bouse de vache. Celle qui échappait à l'appêtit des bousiers
finissait dans l'âtre. On l'appelait "el ouguid" Aujourd'hui on fait de
la dérision avec le verbe "wegged" (faire des choses futiles et vaines). |
On attendra encore longtemps le gaz de ville en dépit du gazoduc
qui passe à quelques mètres du village. |
La kh'mira se fait passer avec
n'importe quoi... avec des feuilles d'oignon vert, avec des tranches de pulpe d'oignon,
avec des olives dans toutes leurs préparations, avec un bol de petit lait, de
préférence accompagné de figues sèches, avec un bon plat de piments tres forts et de
tomates marinant dans l'huile d'olive...
l'autre galette, c'est "el
f'tir"... c'est une galette de blé sans levure; elle est faite d'une seule pâte
qu'on doit fortement huiler (à l'huile d'olive comme de bien entendu !)... comme pour la
kh'mira, il est considéré d'en manger quand elle est chaude...
La troisième galette s'appelle
"el mouarrag" (ouarga = feuille). Elle est préparée en pâte feuilletée et
c'est cette variété qui sert à préparer le r'fis.
Quant à la quatrieme, la
"harchaya", c'est une galette d'orge qu'on mange généralement après l'avoir
noyée dans de l'huile d'olive. Elle devient alors succulente et tres nutritive.
il restera à parler des crépes,
des beignets et autres gateaux mais aussi des differentes préparations des olives
etc... nous promettons de le faire des que possible...
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