HISTOIRES D'EAU
Pour paraphraser A de St Exupery, je dirais que
l' eau comme l'argent n'a ni goût, ni couleur, ni arôme...
Ah l'eau !
La recherche de cette denrée
mobilise plus d'énergie, de temps, de salive et de "chikayates" (doléances)
que la recherche du pain, du savoir ou du gaz butane.
Ce n'est pas qu'elle manque, non
! la seule source de Ain El Kebira sur les hauteurs de Ben Haroun pourrait suffire à elle
seule à abreuver bêtes et gens d'El Hamra à Boulerbah ! On m'a dit que le rugissement
de l'eau qui en sourde du côté de Ain Cheriki est assourdissant... et jusqu'aux années
70, elle coulait allègrement même dans la fontaine publique de la place du village en
passant par tous les jardins potagers de Zouggagha, El Hamra, El Maasra et Djebahia où
non seulement elle désaltérait mais où elle s'utilisait aussi pour les besoins des
lavandières, des chantiers de construction et ... de l'irrigation.
En ces temps là où il y avait
très peu de tracteurs pneumatiques et pas une citerne tractable, la galvanisation des
conduites tenait très bon et les pompes grillaient rarement... Le problème de l'eau ne
se posait même pas en terme de qualité puisque c'était une eau de source, chargée de
toutes les essences radiculaires des lentisques, du romarin et du genévrier mais aussi
des ions de tous les métaux de nos montagnes.
On faisait quand même la fine
bouche en nous en allant chercher cette eau plus fraîche et plus pure qui
jaillissait à Ain Chaalal et qui irriguait le jardin de Boucetta où poussaient des
grenadiers éclatant de santé ou de l'eau "minérale" du robinet inépuisable
(à ce jour) de Chaabet Lakhera ou plus loin, de la source des Belabbes d'El Mouilha
en lorgnant vers les poires de jardin paradisiaque qu'entretenait Boulahouache.
Ain Chaalal a été détournée
par l'usine d'eau minérale pour les besoins de lavage de ses bouteilles, on n'a pas
demandé l'avis de la source, ni celui de ses fidèles; si les fidèles, fidèles à leurs
habitudes n'ont pas dit mot, la source, elle, s'est révoltée et a décidé
d'arrêter les frais d'une débauche de bienfaits car elle savait les récipiendaires
ingrats.
C'est de cette
"source" sommairement aménagée par Tahar Adjou que boivent les habitants d'El
Maasra depuis que la conduite venant de Ben Haroun a été fermée plus par mesure de
rétorsion politique que par manque d'eau.
Les conduites d'eau ont ensuite
été utilisées par les maires à des fins de bas populisme. On a vu même les
cantonniers de la commune se transformer en plombiers pour offrir leurs services à tous
le monde et la surenchère en adductions sauvages eut raison du débit pourtant très fort
de Ain el Kebira. Le paiement des consommations au forfait qui équivaut très
souvent au non paiement incita tout le monde à abuser de cette eau en reliant les puits
aux conduites ou en laissant couler les tuyaux sans robinets dans les cuves des
toilettes... Le débit des réseaux d'assainissement témoigne de cette gabegie.
Les trois fontaines publiques du
village (rue du moulin, face à la cave et au quartier "el harka") ont été
détruites et une nouvelle mode est venue remplacer celle plus sympathique de ces espaces
de convivialité. On a introduit les installations à l'intérieur des maisons... mais
c'est plus pour la frime que pour l'efficacité ou la rationalité puisque les robinets
chromés ne servent qu'au décor...
Voyant que l'utilisation de cette
source en amont était très peu payante puisqu'elle utilisait le principe de Newton et
qu'elle ne s'embarrassait ni de pompes ni de stations de reprises, les préposés à la
gestion de l'eau ont tout fait pour saboter Ain El Kebira. Ils ont réussi !
Et ils sont descendus jusqu'au
delta de l'Isser où ils ont décelé (selon leurs dires) une nappe suffisante pour
alimenter presque toute la wilaya. Ils ont commencé le "fonçage" (comme ils
disent) de puits et la réalisation de forages tous azimuts et c'est de là, sur une
dénivelée de plus de 500 m que prend le départ leur réseau d'AEP vers Djebahia mais
aussi vers Aomar. Dans cette dernière commune ils ont réalisé une uvre
pharaonique ! peut être plus de 20 km de canalisations, je ne sais combien de stations de
reprises, le tout pour plus de 4 milliards de nos centimes d'antan qui valaient leur
pesant d'or. A l'essai, les conduites ont fui de toutes parts... le réseau n'a pas donné
une goutte d'eau ! Il a été abandonné sans autre forme de procès aux décideurs de
l'époque et à leurs associés les entrepreneurs...
Le village de Djebahia lui aussi
est approvisionné de cette nappe. Une nappe qui, aujourd'hui stocke ce liquide vital sans
la filtration nécessaire puisque l'oued a été littéralement dénudé de son sable
qu'on a prélevé pour remblayer l'autoroute en construction.
L'eau ne coule plus à Djebahia,
ou si peu !
Les concernés invoquent tour à
tour le prétexte de la corrosion de l'acier des conduites, les moto-pompes qui grillent
deux douzaines de fois par mois ou, à défaut d'arguments, la source qui se tarit...
Ca permet de remplacer les
conduites (le dernier remplacement s'est fait à l'aide de tuyaux en fonte ramenés à
prix d'or de l'extrémité ouest du pays !...), de réparer les moto-pompes ou de...
creuser de nouveaux puits !
Chacune de ces opération
constitue une aubaine car elle permet de passer des marchés juteux... une aubaine aussi
pour toute une faune de "citerneurs" (il en existe une cinquantaine) qui ont
fait du colportage de l'eau leur métier, un métier bien juteux puisqu'ils réussissent
à faire en moyenne 5 rotations/jour à 700.00 DA la rotation soit un chiffre d'affaires
exonéré de tout impôt de 3500 DA/jour ou plus de 10 millions de cts par mois...
Ces "citerneurs" sont
capables, pour préserver leur rente, de tout faire pour que l'eau ne coule plus
dans les robinets... cette volonté de sauvegarder leurs intérêts se conjuguant avec
celle de certains décideurs locaux de profiter de marchés juteux s'opposera
définitivement à toute velléité de remise en marche du réseau... et quand bien même
l'eau arrive au village, vous verrez des geysers jaillir de tous les coins de rues et des
torrents déferler des pseudo-trottoirs tant les fuites sont importantes...
Le puits de Hammouda Touhami et
Ain Hamana ont hélas encore de très beaux jours devant eux...
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