L'Ecole
Je ne sais en quelle
année furent construites les écoles en préfabriqué du village. Des écoles toutes en
tôle et que de la laine de verre réussissait tant bien que mal à isoler des froidures
de l'hiver et des canicules pré-estivales. Il y'en avait 3 au village; l'une d'elles
était dotée d'un préau dans lequel on avait placé un lavabo et des toilettes.
Le premier maître
d'école (peut-être me corrigera t'on) fut Monsieur Page (ou Pache); mais celui qui
marqua le mieux les mémoires fut Monsieur Guy Carillo, un gros français
volubile dont la femme, une dame colèrique et austère s'occupait d'une poigne de fer du
"cours préparatoire" dans l'école jouxtant sa maison et dont le seuil
donnait sur la place publique. Cette maison connut des tas d'occupants depuis le départ
de son originel occupant mais jusqu'à ce jour on continue à la surnommer "Dar
Carillo"...
Monsieur Carillo était
secondé dans sa mission par Mr Christian, son beau frère, un jeune homme athlétique et
sympathique et Mme Teissier, une femme de colon qui habitait une des maisons
coloniales du village et dont la gentillesse cachait mal à mon avis une rancoeur tenace
contre les "indigènes".
L'école était mixte
mais le rapport entre garçons et filles était très largement au profit des garçons
puisque les filles pouvaient se compter sur les doigts d'une seule main.
Elle était aussi mixte
au point de vue races puisqu'elle comptait les arabes des lieux mais aussi un français,
fils de militaire et qui s'appelait Jean François et une fille
des Catala prénommée Chantal.
L'indigence des élèves
imposait à l'école de fournir gratuitement les instruments didactiques; l'école
possédait donc ses stocks de porte-plumes (le stylo-bille étant interdit d'usage), de
plumes "caporal", de gommes, taille-crayons, papier buvard, compas,
équerres, rapporteurs, crayons et autres cahiers et livres de lecture. Les élèves
n'étaient tenus qu'à la pssession de deux cahiers, l'un dit de "cours" et
l'autre de "brouillon" et les cartables devaient être légers pour ne pas
constituer une charge difficile, surtout en consideration du chemin à parcourir pour
rejoindre l'école.
De cette école, il n'en
sortit pas grand chose... deux élèves seulement décrochèrent l'examen d'entrée au
CNET de Bouira...
L'école disposait alors
d'une vaste cour où les élèves expérimentaient leur savoir-faire en jardinage et d'un
terrain agricole de quelques hectares en contrebas du village et où avaient poussé trois
ou quatre oliviers. Cette terre distraite de l'école pour être attribuée à une
exploitation collective (EAC) porte toutefois à ce jour le nom de "bled
likoul".
Monsieur Guy Carillo,
dans la mission de "civilisateur" confiée à lui par le pouvoir colonial,
se montrait quand même avant tout fidèle à sa mission d'enseignant qu'il
exerçait avec un sérieux digne des meilleures éloges. Et l'école, sous sa férule
rayonna de mille feux. elle eut sa bibliothèque, son stade, son portique et surtout... sa
kermesse ! cette kermesse qui clôturait l'année scolaire était une veritable fête
villageoise avec ses stands de tirs à la carabine, de pêche aux canards, de course en
sac et d'autres attractions joyeuses. Il faut aussi signaler l'heureux événement que
constituait "Noël" pour les écoliers. C'était à l'inévitable Haroune
Mohamed - Koukou pour ses intimes - que revenait le rôle du père Noël et les enfants de
l'époque se souviendront toujours des cadeaux qu'on leur distribuait: balles en
caoutchouc, modèles réduits de camions, pâte à modeler etc... mais aussi du gâteau
qui accompagnait ces cadeaux et que l'on n'avait plus l'occasion de manger jusqu'au
prochain Noel. Mais l'école coloniale était quand même une école coloniale qui
imposait le salut matinal au drapeau et qui frappait d'amende tous ceux d'entre nous qui
oubliaient qu'enfants de nos ancêtres les Gaulois, il nous était interdit de parler
l'arabe...
L'école vécut un grand
drame en 1960-1961. Lors d'une excursion au bord de la mer, l'inattention des encadreurs
fut fatale à Azzouz Aissa qui mourut noyé. Il est certain que Monsieur Guy Carillo ne se
remit jamais de ce drame dont il devait se sentir le seul responsable.
L'école d'après
l'indépendance fut plus euphorique mais elle entama laborieusement son travail de
pourvoyeuse en connaissances.
Les classes en
préfabriqué furent démantelées et remplacées par des salles en dur, moins
esthétiques et peut-être aussi moins resistantes et moins fonctionnelles. La gratuité
des fournitures scolaires fut abandonnée et les deux cahiers d'antan furent remplacés
par des dizaines d'autres, chacun devant contenir une matière et les matières
enfantèrent d'autres matières; le cartable prit un volume et donc un poids au dessus des
capacités des enfants.
C'est avec Si-Aissa
qu'elle rouvrit ses portes puis elle se structura graduellement avec Monsieur Bardini puis
Monsieur Spinosi (lire son histoire avec Ali El Postier
puis monsieur Guy Michel et monsieur Temmar pour arriver à Monsieur Bennaamane et
tomber enfin entre les mains de Monsieur Chachou. Les maitres qui laissèrent une
empreinte indélébile sur les élèves des années 60 et 70 furent très nombreux. Ne
pouvant les citer tous, nous nous contenterons de quelques uns:
- Oumghar Messaoud:
jeune homme ramené d'Alger, maître d'arabe. Il était d'une extrême sévérité
et très peu d'élèves peuvent se targuer de ne pas avoir reçu ses corrections
- Machani Slimane: venu
de Zeriba, il fut conquis par Djebahia au point de s'y installer pour de bon. Ce fut un
maître d'arabe qui sut inculquer les rudiments de la langue aux élèves.
- Assam Ahmed: venu de
Kadiria, chikh Assam, placide et calme, traversa le village sans remous...
- Louacheni Ahmed: il
passa chez nous une année peut être... il se propulsa de ses propres ailes vers d'autres
orbites. Il est aujourd'hui secretaire général de Wilaya et sera peut être un jour
Wali.
L'école de Djébahia
compte aujourd'hui 13 classes et une cantine et un grand nombre d'enseignants et
surtout d'enseignantes et dispense un enseignement arabisé. Les activités para-scolaires
se résument à des rencontres chauvines entre établissements pour tester des
connaissances non pas de culture générale mais du programme d'instruction, ces
rencontres se déroulent dans une solennité qui leur ôte tout attrait. En dehors de ces
joutes fades, les écoles organisent des rencontres sportives dénuées de tout engouement
car considérées comme des corvées à expédier au plus tôt.
Les enseignants
d'aujourd'hui, pris dans la frénésie du matérialisme compensent leur pécule
relativement maigre par le recours à d'autres activités: commerce, transport clandestin,
petits métiers... Il leur arrive très souvent d'ailleurs de se laisser envahir par leurs
activités accessoires au point de rendre accessoire leur activité principale...
Les choses ont
évolué... Il fut un temps où le village reposait sur trois personnes: le maître
d'école, le "khodja" ou secretaire de mairie et le postier (l'imam n'existant
pas faute de mosquée). Ces trois personnes représentaient les indispensables
conseillers et arbitres dans les transactions commerciales, les conflits patrimoniaux
et les relations matrimoniales. Il suffisait alors au maître d'école de se
pointer à un angle de la place publique pour que les enfants s'arrêtent de piailler...
Aujourd'hui le maître d'école sert lui-même les denrées à ses élèves-clients et la
table de domino du maître peut côtoyer celle de ses élèves...
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