EMPLOI
Les Djebahis s'occupent
comme ils peuvent... Ne trouvant rien à faire de leurs mains dans un village livré à la
non-gestion d'édiles interessés d'abord par le confort de leurs postérieurs, nos
villageois qui ont voté "z'kara" pour eux et qui continueront à le faire, ne
trouvent depuis la nuit des temps d'autres alternatives que dans l'émigration.
Les "maigris" (émigrés
d'outre-mer) qui ont un jour décidé d'aller se faire voir en hexagonie pour ne plus se
faire voir au village, ne sont plus aujourd'hui que des retraités qui se sont construits
des villas cossues au lotissement résidentiel de Djebahia ou au piémont des montagnes
qui dominent Ben Haroun et surtout Ain cheriki. Ces messieurs encostumés et encravatés
qui se sont installés dans le nord froid de la France, à Roubi ou Torkoi (Roubaix et
Tourcoing) s'en viennent chaque été dans des voitures "Pigeot" de
préférence, s'offrir des cures de soleil et augmenter sensiblement les prix des tomates
et des piments. Leurs enfants, arborrant les derniers cris de la mode vestimentaire en
France et parlant avec les accents du Midi, de la Cannebière ou de la côte
bretonne, insèrent une note d'exotisme aux couleurs, aux odeurs et aux
gutturalités du cru. Cette progéniture déculturée et qui a adopté les reflexes de
l'autre rive constitue peut-être pour ces pères et mères fourbus par les années de
labeur une sorte de réconfort moral car leur mimétisme leur donne inconsciemment
l'idée qu'ils ont réussi à générer des enfants égalant les "patrons"...
Tout ce beau monde vit généralement de pensions de retraite que l'érosion du dinar a
rendues très généreuses; mais pour les arrondir un peu plus, nos émigrés profitent de
leur passage chez Tati afin de se remplir des sacs de friperie que les enfants de leurs
hôtes colportent de porte en porte... Les émigrés n'ont pas bonne côte auprès des
villageois, ces "parvenus" qui n'ont d'autre "atout qu'une carte de
résidence" sont accusés de faire preuve d'une "fierté déplacée" mais
c'est surtout "leur propension à l'avarice" qui les rend très peu sympathiques
aux yeux des autochtones. L'index avec lequel ils sont discrétement montrés est
accompagné d'une bouche ironique et médisante qui n'hésite pas à retourner au delà de
la méditerannée pour se représenter les costumes en combinaisons noires de cambuis ou
pire, en bleus de travail d'éboueurs et à parler avec un pouah de derision des
casseroles où baignent des pommes de terre à l'eau... Nos émigrés raisonnent
"franc" et parlent "franc" et quand un autochtone en quête de voiture
ou de "facasse" s'en va "chez eux là bas", ils évaluent le café
qu'ils lui offrent en usant d'une calculette mentale qui transforme systématiquement les
francs en dinars et un café à 5 FF c'est trop fort quand il ne vaut pas plus de 10 DA
dans nos estaminets !
Boumediène a décidé un jour, pour
redonner la fierté aux algériens, de supprimer l'émigration officielle, il a construit
des pôles industriels loin des villages, à Reghaia, Rouiba ou Dra Ben Khedda afin de
donner aux citoyens l'occasion d'émigrer dans leur propre pays et c'est cela qui a permis
à nombre de villageois de faire à plus petite échelle ce qu'ont fait leurs pères. Nous
avons en effet une forte colonie de travailleurs à la "Sonacome" (SNVI) et dans
les unités de la zone industrielle de Rouiba (Anabib, Sonipec, EPBR, Infrafer...), une
colonie pour laquelle je ne sais combien de cars de transport du personnel sont
mobilisés. Nous eûmes aussi nos travailleurs à la Sonitex de Dra Ben Khedda avant que
la recession des activités textiles n'en fasse un vaste mouroir industriel.
En dehors de ces grosses boites
auxquelles il convient d'ajouter la SNIC de Lakhdaria (aujourd'hui ENAD et ENAP), notre
main d'oeuvre a été absorbée aussi par les inenarrables "EPL" (entreprises
publiques locales), sortes de fourre-tout budgétivores dont ont usé et abusé les élus
et les fondés de pouvoir de l'administration locale. L'administration locale a,
elle aussi, prélevé de chanceux fonctionnaires qu'on retrouve dans tous les secteurs:
habitat, commerce, santé, éducation etc...
L'école, friande de personnel féminin,
a donné à nombre de marchandes d'alphabet la chance d'une carrière sécurisée; le
reste de la population s'est mis à son compte, utilisant toutes sortes d'expédients pour
pouvoir subsister.
La crise sécuritaire qu'a connue le
pays a été une aubaine puisqu'elle a permis aux uns de prendre la clef des champs pour
se transformer en chasseurs de tête et aux autres de faire les chasseurs de prime pour
les prendre en chasse...
Quand les travaux de réalisation de
l'autoroute et des grands ouvrages (Ponts de Oued Djellada et Tunnel de Ain Cheriki)
furent lancés, les villageois se dirent que le chômage allait être révolu... C'était
compter sans le népotisme de certains "cadres" de ces projets ! Les
travailleurs du cru furent en effet éconduits pour la plupart au profit de travailleurs
ramenés même de Sour El Ghozlane. La noria des fourgons qui les transportent en début
et en fin de journée montre que comme nous savons user de stratagèmes pour nous en aller
chez les autres afin d' accaparer leurs boulots, les autres aussi savent exploiter leurs
connaissances pour venir chez nous, nous voler un travail qui nous est logiquement
destiné.
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