DU PÉTROLE AU STADE !
C'était au tout début des années 70.
La Révolution Agraire draînait vers les campagnes des cohortes d'étudiants que
les attributaires regardaient d'un oeil amusé.
Au village aussi on eut notre lot de coopératives mais paradoxalement pas un seul
village agricole car on était sous domination Kadirienne et le Parti du FLN veillait à
conserver cette domination en faisant tout pour que nous ne conservions que ce que la
France a bien voulu nous léguer afin que nous n'ayons aucune velleité d'autonomie
communale.
Ce sont les décideurs d'alors qui eurent la généreuse idée de construire des
logements au profit des heureux attributaires de la Révolution Agraire au... stade
municipal !
Parler de "stade" est, il faut le reconnaitre, très exagéré si on
considère l'état de ce terrain vague qui surplombe le village du côté de Zebboudj
Djemaa; mais c'était quand même l'endroit où se déroulaient les joutes
footballistiques même au temps de la colonisation.
Agissant avec une célérité inhabituelle, les travaux de creusement des
fondations furent menés tambour battant et ce fut le pétrole qui sauva le stade du
béton !
C'est en effet en creusant que Kaci Hamalati - travailleur occasionnel parmi tant
d'autres - fît une découverte qui faillit bouleverser l'économie de toute la région.
Il le sentait venir depuis quelques jours mais il ne voulait pas le croire
jusqu'à ce qu'il en fût convaincu... oui... il avait découvert un gisement de pétrole
! Il ne put alors réfréner son immense joie et sa fierté et quand le village eut vent
de l'affaire, ce fut un déferlement de djébahis de tous âges qui entoura la fosse au
fond de laquelle officiait Kaci... Celui-ci, s'exprima alors avec la modestie et
l'humilité qui vont avec les hommes des grandes découvertes: " je ne suis pas un
génieur dit-il à la populace émerveillée... je ne suis qu'un creuseur de fondations...
et c'est en creusant que j'ai découvert le pétrole... au début je doutais un peu mais
au fur et à mesure que je m'enfonçais j'avais la conviction que j'allais faire cette
trouvaille qui va sûrement bouleverser le quotidien de notre village..."
Tahar N'Amar qui s'était érigé en sheriff du village en ces temps là vint en
courant dans son pantalon arabe et son sempiternel gilet... on lui libéra le passage et
Kaci, du fond de son trou, recommença sa litanie : "je ne suis ni savant ni
génieur...". Tahar N'Amar l'invita à lui remettre une grosse motte de terre
imbibée de pétrole non sans avoir sèchement rabroué l'hilare Saïd Hamoud qui osait
fumer dans pareille condition. Il prit la motte et de son pas pressé, descendit vers la
place publique où il avait garé sa Simca - P60 noire. On le vit prendre la direction de
Kadiria où il s'était senti le devoir d'informer la gendarmerie (il ne fallait surtout
pas aviser l'autorité communale d'occupation qui risquait de minimiser et de contrecarrer
littéralement les effets de la grande découverte).
Quand Tahar N'Amar revint de Kadiria, il trouva les villageois dissertant sur les
bienfaits mais aussi les malheurs qu'allait connaître leur village par l'effet de la
découverte de Kaci.
Tahar N'Amar ne descendit pas avec le V de la victoire qu'il ne connaissait pas.
Mais à sa mine fière on sut qu'il avait accompli sa mission...
Les vieux sont des rabat-joie et tout le monde le sait... Je ne me souviens pas de
quel senescent pessimiste il s'agit mais toujours est-il que c'est un homme d'un autre
temps qui vint refroidir l'enthousiasme de tout un village en disant à peu près ceci:
"ya l'm'ssakher !... il n'y a pas plus de pétrole au stade que d'or dans
ghar Marwan... ce que vous sentez ne constitue que l'odeur des carburants infiltrés sous
terre car c'est là que les entreposaient les militaires français..."
Ce fut une terrible désillusion qu'on tempérât en avouant qu'on était
sceptique quant à l'existence du pétrole en ces lieux dès le début...
Mais ce fut ce pétrole qui sauva le stade car les jeunes d'alors prirent
conscience du crime organisé contre leur aire de jeu et firent un tapage qui obligea les
autorités politiques et administratives de la localité à définir un autre terrain
d'assiette pour les logements des coopérateurs. |