la poste
Du temps de la colonisation, le
village disposait d'une charmante agence postale que rendaient encore plus charmante le
charme des rondeurs de la postière, Madame Trident mais aussi et surtout le charme des
roses qu'elle y entretenait dans le jardin attenant.
L'exigüité de l'agence ne
permettait pas de recevoir plus d'une personne et le guichet de la postière se situait
presque à la porte puisqu'on pouvait voir sa tête ronde de la route. Dehors, une petite
fente servait à recevoir les lettres.
Derrière la postière, des
casiers en bois permettaient de trier le courrier en fonction des douars auxquels il
était destiné. Les casiers étaient identifiés par des étiquettes qui portaient les
noms de ces douars: Ain Cheriki - Ain Laazerah - Ben Haroun - Boulerbah - Lahguya et dans
le mur, à côté du guichet, il y'avait un grand casque dans lequel reposait un
téléphone à l'usage des citoyens...
Le courrier était remis à des
épiciers de ces localités qui se chargeaient de le dispatcher et nombre d'adresses
étaient d'ailleurs identifiées par l'expression: "chez x- commerçant à y".
Les rues du village portaient
alors le nom de la bâtisse la plus caractéristique: rue du moulin, rue de la cave,
rue du château d'eau, rue de l'école...
Le courrier que recevait la poste
se résumait aux nouvelles des émigrés et aux correspondances qu'entretenaient
quelques jeunes avec d'illusoires demoiselles d'ailleurs mais aussi des procès-verbaux
et, contraventions et autres ordres de paiement émanant des services administratifs.
En 1962, c'est Ali El
Postier, un grand monsieur très brun et très volubile, qui vint officier à
l'agence, on le disait originaire de la lointaine Bordj-Ménaïel. A cette époque,
l'agence postale faisait office de recette et les sommes d'argent qui y transitaient
étaient considérables puisque les émigrés n'avaient aucune bonne raison d'éffectuer
un change au noir désavantageux; le gros dinars algérien valant bien plus que
l'étriqué franc français tout nouveau fût-il.
Ali El Postier fut chassé pour
crime de lèse-majesté par une protesta villageoise digne des messes du KKK (lire l'histoire); nombre d'autres postiers lui succédèrent et
nombre d'entre eux connurent des fins de carrière peu glorieuses... "on ne peut ,
disait le Président Boumediene, travailler dans le miel et ne pas se sucer les
doigts..." Il y'eut Moh' Tahar, Menad Azzouz, et Said Djebri nommé
"Said Erradar" en référence au "Radar" où il travaillait (station
de telecommunications par satellites de Lakhdaria) et Mouloud. Ce dernier arriva
laborieusement jusqu'à la retraite et eut la chance de quitter la petite agence pour
officier dans la nouvelle poste construite au lieu-dit "El Maghassla". Une
nouvelle poste comprenant même une belle résidence pour le postier.
Cette bâtisse contient, suprême
signe d'évolution, quelques cabines téléphoniques et tout un agencement de boîtes
postales (inutilisées au moment de l'écriture de cette page, le 23/10/2002). L'essentiel
des activités de la poste se résume aujourd'hui au paiement des différentes pensions.
Le peu de courrier qui arrive est constitué de factures de téléphone, d'electricité,
d'eau et de loyer, et des convocations du Tribunal de Lakhdaria. Les lettres sont
entassées au guichet et c'est aux citoyens de fouiller dans le tas pour retrouver celles
qui leur sont destinées. Les cas d'homonymie font que beaucoup de lettres n'arrivent
qu'après de longues périodes aux vrais destinataires ou n'arrivent jamais. Les facteurs,
recrutés n'importe comment n'ont plus ni la casquette ni la musette, ni la
bicyclette de ceux d'avant, ni leur sympathie ni leur disponibilité ni leur
prestance.
La bâtisse imposante elle aussi
n'a plus le charme de l'ancienne agence et contrairement au petit jardin où se
bousculaient les rosiers de Mme Trident, sa large cour laisse s'ébattre à leur
aise les mauvaises herbes.
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