RELIGION
et CROYANCES
Le village de Laperrine fut comme on l'a vu, crée
sur un maquis d'églantiers, de lentisques, de genévriers, d' aubébines et autres
jujubiers dans un lieu qui porte bien son nom: Draa Lebghal (col des mulets) qui fait face
mais à moindre altitude à Draa el Mizan. Les colons qui accaparèrent les terres du
beylik et des autochtones y construisirent un beau village avec sa place et sa fontaine
publiques mais aussi et comme de bien entendu, son église.
Les habitants de Djébahia se souviennent que
cette église, mitoyenne de la poste où officiait la grosse Madame
Trident - une femme qui savait s'occuper de son boulot mais surtout de ses rosiers
- cette église donc, retenntissait du son de l'orgue à chaque
dimanche; mais je crois bien qu'il s'agissait d'un piano puisque les lamelles
métalliques bronzées ont jonché les rues du village au lendemain du départ des
français... Juste au seuil de l'église, un modeste clocher donnait aux lieux une image
de presbytère de quelque village de la campagne Irlandaise... ce clocher était surmonté
et l'est toujours, d'une montre. Le temps étant suspendu au village, cette montre
s'est arrêtée d'indiquer une heure inutile à 11 h 25 un jour que Dieu seul
connait.
En 1962, pensant peut être que la conscience des
villageois était en formation, il y'eut, parallèlement au beurre et à la
margarine "dons du peuple des Etats Unis d'Amerique - à ne pas vendre ou
échanger", une autre offensive non sur les ventres mais sur les têtes... aux
charmes du communisme diffusés par les revues maoïstes vint faire front une offensive
d'une mission chrétienne dont les relais se situaient à Tizi Ouzou. Le convertisseur en
chef crut même bon de se déplacer un jour pour intrôniser deux écoliers qui avaient su
répondre aux questions de catéchisme que posaient ses correspondances. Il s'en retourna
déçu car les deux brebis qui donnaient l'air d'avoir été soumises avaient pris la clé
des prés pour éviter de le rencontrer, au grand dam de Monsieur
Spinosi le maître d'école qui avait suivi l'histoire avec complaisance ... En
réalité, les revues au papier glacé et aux couleurs chatoyantes qui nous venaient de
l'occident chrétien et de l'extrême orient communiste nous servaient plutôt comme
protége-cahiers gratuits que comme achalandage de bibliothèques ou comme livres de
chevets... Cette offensive tous azimuts fut par la suite investie par d'autres faiseurs de
consciences, de Radio Havana à Radio Berlin International et jusqu'à Radio Washington...
Nombre de jeunes villageois reçurent des tas de petits cadeaux allant de la photo
d'Armstrong, Aldrin et Collins à l'attirail complet de tennis de table et il y'eut même
un certain TALBI de Ain Lazerah qui reçut un beau jeu d'échec qu'il brada au marché de
Bouira, ne sachant qu'en faire.
Les villageois s'en sortirent sans grands dégats
de ces tentatives de christianisation, de communisation ou de capitalisation. Ils
restèrent loin des idéologies et des théologies, se permettant même de réserver un
traitement tout juste débonnaire à la religion de leurs pères qu'ils laissèrent à
leurs pères...
Pour remettre un peu d'ordre dans les esprits, on
eut l'idée d'appeler un maître d'école coranique au départ des français et on ouvrit
les écoles dans un gros délire de ressourcement. C'est à Si Aissa ramené de Palestro,
qu'échut la lourde mission d'enseigner l'arabe aux villageois. Une seule école ouvrit
ses portes et c'était un spectacle que de voir la multitude de paysans enturbannés,
accoudés aux fenêtres et regardant faire le maître d'école dans une classe où tous
les âges se côtoyaient. La technique pédagogique de Si Aissa avait de quoi constituer
un spectacle puisqu'il n'hésitait pas à mettre en compétition les élèves et cela se
terminait par une penible épreuve pour le perdant qui devait supporter que le vainqueur
lui tirât les oreilles sous les sarcasmes du public...
Si Aissa était aussi la référence incontestée
en religion. C'est lui qui unissait les couples par les liens sacrés du mariage, lui qui
récitait les oraisons au cimetière et les psalmodies durant les veillées funèbres;
c'est lui qui guidait la prière du vendredi et qui écrivait les talismans aux bêtes et
aux hommes contre tous les maléfices de Satan et les yeux des envieux et à l'occasion
pour briser les réticences de quelque jouvencelle, allergique à son prétendant. Il
maîtrisait si bien son sujet que même plus tard, quand vinrent des prosélytes aux dents
et à la barbe longues, il continua à inspirer le respect pour son érudition. Enseignant
de son état, il se retira de la gestion des affaires religieuses du village pour se
consacrer à son métier qu'il continua à exercer jusqu'à sa retraite. C'est Si Hammoud
qu'on nomma imam officiel du village. C'est un homme d'une tolérance absolue; il sut
cultiver cette religion faite de générosité, de bonhommie, de simplicité et de
souplesse en continuant à rester un homme très commun au lieu de se prendre pour un
saint. Au moment où ces lignes sont écrites, Si Hammoud qui a atteint l'âge de la
retraite continue rouler en Lada et à officier à la nouvelle mosquée qui n'en finit pas
de se construire sous la férule d'une association religieuse à laquelle on pourra tout
reprocher sauf son manque de dynamisme.
la nouvelle mosquée et son minaret en construction
Cette nouvelle mosquée a remplacé celle qui fut
sommairement aménagée à la place de l'église d'antan et qui fut surmontée d'un
blockhaus- minaret unique en son genre de par le monde, construit par El
H'midi certainement dans des moments de grande inspiration, à l'aide d'une vraie
débauche de béton armé...
Ladite mosquée est aujourd'hui en ruine. Pour
pouvoir disposer du terrain d'assise sur lequel elle repose, il faudrait un séisme de
12° sur l'echelle de Richter car il n'est pas sûr qu'avec les moyens conventionnels de
destruction on pourrait avoir raison du travail d'El H'midi. C'est
ce qui s'appelle construire une oeuvre durable !
La religion villageoise intégre tous les aspects
de la vie; c'est un pretexte à bonne chair puisque elle offre l'occasion de s'offrir des
poulets au berkoukes durant les "souikates", de s'empiffrer de bonne viande de
mouton et de surcreries durant le Ramadhan, de s'offrir un bon couscous garni au départ
et au retour des pélerins, de déjeuner copieusement au 40e jour des défunts et pour
clore en beauté, de se gaver de bonne viande ovine durant l'Aid El Kebir et les jours qui
le suivent .
La religion est aussi un moyen très commode
d'échapper à l'angoisse existencielle mais aussi et surtout aux examens de conscience
puisque le croyant villageois peut tout mettre sur le dos du mektoub: la perte d'une bête
mal soignée, la chute d'un mur mal bâti, un accident dû à la négligence ou à l'abus,
une banqueroute causée par une gestion à l'à-peu-près, une maladie ou une impotence
découlant d'une mauvaise prise en charge de son coeur, de son esprit ou de son corps, des
difficultés consécutives à la mauvaise gestion des fondés de pouvoir...
Depuis quelques années, cette croyance brute et
superbe de spontanéité et de bonne foi à laissé place à une religion beaucoup plus
portée sur les apparences mais aussi pleine de morgue et de suffisance. Cette nouvelle
conception de la foi s'appuie plus sur l'accessoire que sur l'essentiel et
l'ostentation en est sa règle. Les croyants adorent non plus Dieu mais la manière de
l'adorer si on peut dire et la nouvelle mosquée est devenue une espèce de lieu de vente
à la criée des preuves de la foi puisque chaque vendredi une commission
"Sotheby" offre aux enchères publiques le minaret, le puits, le carrelage, le
plâtre ou la menuiserie de cette mosquée... C'est vrai que sans ça, elle ne se
construirait pas parce que l'Etat s'est désengagé de cette tâche... Cette pratique
favorise l'avénement d'une nouvelle race de gros croyants qui compensent leur
manque d'érudition ou de bonne foi par des paniers de dinars fruits de rapine, de fraude
fiscale, de squat des bien publics etc... donnant corps à ce bon mot du terroir qui dit:
"men lehytou bakharlou" (faire des fumigations de la barbe du malade).
nous vous parlerons
une autre fois de:
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